Notre mère la guerre : BD chef-d’œuvre de Kris & Maël

Par Samia A.
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Il y a des bandes dessinées qu’on lit, qu’on referme… et qu’on oublie. Et puis il y a celles qui nous hantent, qui s’impriment dans notre mémoire comme un choc visuel et émotionnel. « Notre mère la guerre », de Kris et Maël, est de cette trempe-là. Une œuvre qui bouscule, dérange, bouleverse. Un récit aussi beau que terrible, aussi intelligent que poignant.

J’ai lu cette bande dessinée d’une traite, incapable de m’arrêter. Et quand j’ai tourné la dernière page, je suis restée figée un long moment. Parce que ce n’est pas “juste une BD de guerre”. C’est un roman graphique qui interroge la nature humaine, dans ce qu’elle a de plus fragile, de plus violent, de plus tragiquement ambigu. Et en 2025, alors que la guerre fait tristement écho dans l’actualité, elle résonne d’une façon encore plus puissante.

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Une BD puissante sur la Première Guerre mondiale

Le décor : janvier 1915, au cœur des tranchées de Champagne. L’Europe s’enfonce dans la folie depuis six mois. Dans ce paysage de boue, de feu et de sang, trois femmes sont retrouvées assassinées à l’arrière du front. Et sur chacune, une lettre. Une lettre d’adieu, rédigée par leur meurtrier, scellée par la boue et les larmes. Un détail impossible, presque irréel, dans un théâtre de mort où les femmes sont rares… et sacrées.

Chargé de l’enquête, le lieutenant Roland Vialatte n’est pas un soldat ordinaire. Humaniste, catholique, attaché à des valeurs morales que la guerre broie sans pitié, il avance à contre-courant. Dans cet univers saturé de brutalité, il cherche une vérité plus intime, plus humaine. Mais à quoi bon chercher des réponses quand le monde s’écroule tout entier ?

Notre mère la guerre n’est pas un simple récit de front. C’est une fresque profondément littéraire, à la fois roman noir, drame historique et chronique psychologique. Et surtout, c’est une œuvre de mémoire : celle des soldats sacrifiés, des silences complices, des idéaux piétinés. C’est la guerre comme on ne l’a jamais lue.

Un polar bouleversant au cœur des tranchées

Dès les premières planches, on comprend que cette bande dessinée n’a rien de conventionnel. Le choix du polar donne une tension narrative saisissante. L’enquête est lente, sinueuse, marquée par le doute, le mensonge, la douleur. Chaque personnage est un abîme. Vialatte, bien sûr, mais aussi les soldats croisés au fil des tomes, tous porteurs de fêlures, de secrets, de désespoirs enfouis.

Le plus bouleversant ? L’humanité qui affleure dans cet enfer. Malgré la boue, la peur, les ordres absurdes, certains hommes essaient de rester debout. Ce n’est pas une BD manichéenne : ici, personne n’est héros. Personne n’est totalement lâche ou coupable. Ce sont des êtres pris dans une spirale absurde, broyés par une guerre qui ne laisse aucune place à la nuance.

Et ce contraste entre la tension de l’enquête et l’effondrement des repères moraux donne à la série une force narrative rare. On ne lit pas « Notre mère la guerre », on le vit. On l’encaisse.

Un dessin sublime, au service de la mémoire

Si le scénario est brillant, le dessin de Maël en est l’égal. Chaque planche est un tableau à part entière : des visages burinés par la peur, des regards fuyants, des tranchées d’un réalisme presque tactile. Il ne s’agit pas ici de représenter la guerre de manière spectaculaire, mais de la restituer dans toute sa lourdeur, sa boue, sa lenteur suffocante.

Les couleurs, légèrement désaturées, évoquent la poussière, la cendre, l’épuisement. Rien n’est appuyé. Tout est subtil, organique, douloureusement beau. La lumière semble absente, comme avalée par le désespoir du décor. Et pourtant, certains visages, certaines expressions, éclairent les cases comme des soupirs d’humanité.

Planche de la BD Notre mère la guerre, représentation artistique réaliste des tranchées de 14-18

La guerre devient ici un personnage à part entière. Elle envahit, elle marque, elle transforme. Et Maël réussit ce tour de force : faire ressentir l’enfermement sans jamais tomber dans le gore ou l’illustration complaisante. C’est de l’art, pur et dur.

Une intégrale à (s’)offrir absolument

À l’occasion du centenaire de la Première Guerre mondiale, les éditions Futuropolis ont réuni les quatre tomes en une superbe intégrale. L’objet est magnifique : 280 pages intenses, accompagnées de 10 pages d’esquisses inédites. C’est plus qu’un recueil, c’est une œuvre complète, pensée comme un hommage éditorial autant qu’artistique.

À offrir à un amateur de BD, d’histoire, ou simplement à toute personne sensible à la puissance du dessin narratif. Cette intégrale est de celles qu’on garde, qu’on relit, qu’on prête à condition d’être sûre qu’on vous la rendra.

Couverture de l'intégrale de Notre mère la guerre, bande dessinée historique de Kris et Maël

Pourquoi cette BD est un chef-d’œuvre

Parce qu’elle ose tout. L’émotion brute. La complexité humaine. La beauté dans la noirceur. Elle parle de guerre, mais elle parle surtout de nous. De ce que l’on devient quand tout s’effondre. De ce qu’on perd. De ce qu’on tente de sauver, malgré tout.

Kris et Maël signent ici une œuvre totale. Une bande dessinée historique, oui, mais aussi une enquête psychologique, une fresque humaniste, un témoignage de mémoire. C’est un récit qui reste. Qui marque. Un 10/10 assumé, et même plus.

Si vous ne deviez lire qu’une BD cette année, que ce soit celle-là.

FAQ – À propos de la BD « Notre mère la guerre »

Faut-il aimer les récits de guerre pour apprécier cette BD ?

Pas du tout. Ce n’est pas un récit militaire classique : c’est une enquête psychologique, humaine, avec une vraie tension narrative. Même sans passion pour l’histoire, elle vous touchera.

Est-ce une BD documentaire ?

Non. C’est une fiction très documentée, mais avec une narration forte, des personnages complexes, et une intrigue construite comme un polar.

Peut-on offrir cette BD à un adolescent ?

Oui, à partir de 15-16 ans. Le propos est intense et les thèmes matures, mais il n’y a pas de violence graphique gratuite. C’est un très bon support pour aborder 14-18 autrement.

Est-elle disponible en format numérique ?

Oui, l’intégrale est disponible en version papier et numérique via les plateformes partenaires de Futuropolis et la plupart des librairies en ligne.